La Saga Frederic Dahlmann
LHCH a eu la chance de rencontrer le petit-fils et le secrétaire de l’homme d’affaire , amoureux de la Chine, Frederic Dahlmann (1908-1998). Cet idéaliste si pragmatique, d’origine allemande, a été au coeur des premiers rapprochements de l’Europe avec la République Populaire de Chine. A Shanghai, les ACEC, société où il était le seul employé occidental, avait aidé par son entremise certains communistes à agir en pleine occupation japonaise. Plus tard, il jouera un rôle essentiel dans cette Belgique haute en couleur de la Reine Elisabeth et de l’expo Universelle, fin des années 50. Entouré d’artistes, de futurs ingénieurs, de militants, de financiers et de membres de la noblesse belge, il participera activement à la création de la mythique Association Belgique Chine, —l’ABC dont il sera le directeur de la section économique. Une histoire belge, un peu surréaliste, mais surtout “zinneke” : toutes les classes sociales et les cultures s’y seront croisées !
LHCH a eu la chance de rencontrer le fils et le petit-fils de Frederic Dahlmann,– tous du prénom de Frederic–, ainsi que ses proches.
1921-2021 : 100 ans de la naissance du PCC
1971-2021 : 50 ans de l’amitié entre la Belgique et la Chine
« Le business de mon grand-père était au service de ses idéaux politiques »
LHCH: C’est seulement quand l’ONU a reconnu officiellement la Chine de Mao en 1971 que la Belgique avait suivi aux niveaux de ses relations diplomatiques. Mais l’histoire d’amitié avec la Chine a commencé bien plus tôt en Belgique.
Frederic Dahlmann junior: Mon grand-père, d’origine belge, né à Schaerbeek, a en effet entretenu des rapports très précoces avec cette nouvelle Chine de 1949. Il faudrai aussi raconter l’histoire de mon arrière grand-père à qui travaillait déjà l’époque à Hong Kong pour la société belge ACEC… Mais ce sera pour une autre interview. Le Frederic Dahlmann qui nous occupe ici était un ingénieur commercial qui travaillait lui aussi pour les ACEC ou Ateliers de Construction Électrique de Charleroi. Cette compagnie de Charleroi avait gagné des contrats dans le domaine des machines électriques et donc ouvert un bureau en Chine, dès 1936. Il s’est très vite entouré de Chinois passionnés de socialisme comme lui. Il a vécu en Chine une période-clé, de 1936 à 1950, d’abord à Shanghai puis Tianjin, pour être plus proche de Pékin, après la libération. Rentré en Belgique avec femme et enfant en 1954, après deux années en Suisse, il partagera ses connaissances et son amour pour ce pays au destin si passionnant !
Chile Deman, secrétaire: Ce pionnier aurait eu notamment un chef coq, secrètement militant communiste, qui serait devenu ministre du gouvernement chinois ! En 1949, lors de la prise de pouvoir à Shanghaï par les communistes, tous les étrangers fuyaient la ville chinoise, sauf Fred Dahlmann, qui a l’inverse sauta dans le dernier vol Pékin-Shanghaï pour y résider un an ! Les futurs dirigeants que Fred Dahlmann avait pris sous son aile lui rendirent tous les honneurs. Avec ses contacts et ses amis sur place, il commença ses propres affaires mais toujours dans le souci du développement de la Chine socialiste et celui de son pays d’adoption, la Belgique.
Frederic Dahlmann senior: Il faudrait faire plus de recherches sur ce que sont devenus les Chinois qui ont pu être aidés par les ACEC dans la Chine de l’occupation japonaise. « Aidés », je veux dire que la société belge a permis à ces socialistes de la première heure de jouir d’une situation un peu « officielle » d’employés en acquérant certains papiers, en toute discrétion. Les ACEC ont parfois joué le rôle d’« écran » bienveillant pour eux. Je rappelle aussi le livre essentiel sur les trois soeurs “Soong” qui illustre bien cette époque où les expatriés collaboraient avec des “compradors” chinois qui effectuaient eux le vrai travail. Mon père faisait alors ce qu’on appelle aujourd’hui du “networking” dans les salons, les golfs, bref les milieux mondains.
« Ne sous-estimez pas la Chine, un jour… »
LHCH : La mémoire de toute une époque !
Frederic Dahlmann senior : Oh, c’était ma mère qui était le vrai dictionnaire de cette saga.
LHCH: Comment Frederic Dahlmann mêlait affaires et souci du développement de la Chine ?
Leona van Gansberghe, belle fille de FD: Il était doué dans le domaine de la finance et du droit. En 1961, il s’était battu pour que la Chine d’alors puisse récupérer de l’argent bloqué en Belgique suite à des sanctions politiques. J’ai encore les documents. Il n’appréciait pas que l’on dénigre la Chine en Europe. Il disait toujours : Ne sous-estimez pas la Chine, un jour… »
LHCH:Brillant ingénieur, habile homme d’affaire, financier, mais vraiment… socialiste de coeur ?
Leona van Gansberghe: Oui il avait été étudiant communiste à l’université de Humboldt, à Berlin. C’était un farouche adversaire de tous les types de fascisme et du colonialisme. Son frère était un vrai résistant contre le nazisme. Plus tard, Frederic Dahlmann n’a jamais eu de complexe à faire des affaires car elles promouvaient le développement de pays considérés comme appartenant au « Tiers Monde ». En déplacement en Afrique, Mao aimait dire que la Chine était aussi un pays pauvre et qu’il fallait être solidaire dans ce combat quotidien pour le développement. Dans cette optique, Fred Dahlmann a commencé à travailler en Tanzanie et au Zimbabwé sur les conseils de la famille. Mon mari, son fils donc, du même nom, comme mon fils ici d’ailleurs (rire) collaborera beaucoup avec l’Afrique et la Chine, dans un seul mouvement.
Frederic Dahlmann junior: Mon grand-père était un ami de l’homme politique ici très controversé mais adulé en Afrique pour sa lutte contre l’impérialisme occidental: Robert Mugabe. Rappel historique important : dès les années 60, les communistes chinois avaient soutenu le mouvement d’indépendance ZANU-PF de Mugabe, et en avril 1980, la Chine a été le premier pays à reconnaître la victoire de ce parti. Ce sont les Chinois qui avaient enseigné les tactiques de la “guérilla” aux indépendantistes.
LHCH: Revenons en Belgique. L’immense personnalité de Frederic Dahlman va se connecter avec un milieu brillant et hétérogène pour former l’Association Belgique Chine en 1957.
Chile Deman, secrétaire: Oui il est rentré en Belgique vers 1954. Une Belgique intellectuellement brillante qui préparait petit à petit son Expo Universelle de 1948. Monsieur Dahlmann a fréquenté des cercles d’artistes, où il a rencontré notamment Marthe Huysmans, la fille de Camille Huysmans, le fondateur du Parti Socialiste qui accompagnera la Reine Elisabeth en Chine en 1961 ! Camille sera la 1ère secrétaire de l’ABC, de 1957 à 1961. Il fera aussi la connaissance de Frans Masereele, un peintre et graveur, aussi d’origine flamande et grand anti-fasciste dans l’âme. Enfin, le fameux baron Allard, surnommé le Baron Rouge, aussi artiste-peintre fervent communiste qui se formera grâce à l’aide de Fons Moerenhout, membre du Parti Communiste belge, PCB. Il y aura aussi le fameux financier Lederhandler qui gérera aussi, en parallèle avec Frederic Dahmann, l’aspect financier, mais à travers une sorte de « succursale » de l’ABC, la Sodexim. On aura vu aussi des professeurs d’université. Ah oui et bien sûr, des membres du PCB qui auront suivi la scission du parti vers une entité pro-chinoise : le parti de communiste de Jacques Grippa, donc.
LHCH: Une communauté assez hétérogène, presque surréaliste ! Tout le monde s’entendait ? Quelle était la mission de l’ABC ?
Chile Deman, secrétaire: La mission était aussi culturelle que liée au développement des affaires. La Chine devait se construire. La Belgique était un pays riche à l’époque. Il y a avait des opportunités énormes. Mais de nombreux échanges culturelles et intellectuels étaient nécessaires pour assurer la meilleure entente entre les deux pays.
LHCH: Il y a avait des tendances différentes ? Nous avons interviewé Fons Moerenhout dans nos pages. Il se présentait clairement comme un ouvrier idéaliste à l’ABC. Alors que d’autres…
Chile Deman, secrétaire: Oh durant les élections en effet, il y avait de l’ambiance ! Entre, pour simplifier, les idéalistes comme Fons et les financiers comme Lederhandler. Différentes tendances existaient. Mais je n’ai été secrétaire de l’ABC qu’à partir de 1971. Avant cela, j’étais le secrétaire particulier de Frederic Dahlmann. Je devais essentiellement traduire du français au néerlandais et publier notre magazine « China Vandaag ». Je suis parti en Chine en plein milieu de la Révolution Culturelle, en 1970. C’était d’ailleurs notre premier voyage en Chine avec l’ABC depuis le début de la Révolution Culturelle.
LHCH: Pour revenir au grand Frederic Dahlmann, quel était son rôle au sein de l’ABC ?
Frederic Dahlmann junior: Je me permet de répondre car pour moi dans ma famille il a toujours été question de créer des liens, de bâtir des ponts entre la Belgique et la Chine, et plus tard, entre la Chine et l’Afrique. Mon grand-père avait le génie pour connecter les gens positifs et aux nombreux talents.
Leona van Gansberghe: Oui, par exemple, il connaissait la grande écrivaine sino-belge Han Suyin. Grâce à lui, l’ABC a organisé des conférences de la célèbre romancière qui l’appelait Frederic Dahlmann “l’Homme de sa vie” ! J’allais souvent en Suisse la voir avec mon mari et mon beau-père, donc. Fred Dahlmann, Han Suyin et son mari indien adoraient jouer au jeu de cartes, le bridge.
Frederic Dahlmann senior: Han Suyin avait remarquablement communiqué dans le monde sur la spécificité de la révolution chinoise. De par son aura, sa notoriété, elle a pu expliquer aux spectateurs des chaînes télévisées françaises et belges l’extraordinaire énergie de la Chine moderne. Mon père l’a aidé plusieurs fois dans ses formalités pour aller en Chine vivre en direct les grands changements de l’Histoire.
Chile Deman, secrétaire: Hors Belgique, il a aussi aidé une famille de Hong Kong rencontrée en Chine a devenir les rois de la farine chez eux ! J’avais été le secrétaire d’une fondation qui portait leur nom, Sun Lin Fang.
LHCH: Nous allons nous revoir. Mais pour terminer nous aimerions savoir comme le petit-fils prolonge l’oeuvre de Frederic Dahlmann ? Comment se situer au sein de cette véritable dynastie ?
Frederic Dahlmann junior: Je suis allé étudier le mandarin en Chine, près de Shanghai. Pas loin d’où est né mon père, à Tianjin. Ensuite, j’y ait vécu un an et demi. J’ai essentiellement organisé des conférences sur les rapports entre l’Afrique et la Chine. J’ai invité plusieurs fois la grande spécialiste du sujet Deborah Brautigam. Mais pour respecter la mémoire de mon grand-père, je vais avec ma maman et Chile commencer à scanner les nombreux documents de cette époque faste !
« Mao avait dit en 1949, ‘dorénavant la Chine est debout’ »
LHCH: Félicitations ! On pourra communiquer encore sur cette saga belgo-chinoise ! Mais pourrait-on avoir quelques mots de Frederic Dahlmann senior pour les 100 ans du parti communiste chinois en ce début de mois de juillet 2021 ?
Frederic Dahlmann senior : En introduction à cette grande question, je voudrais dire que mon père m’avait envoyé en Chine en 1970, au milieu de la Révolution Culturelle, pour que je m’inspire de la sagesse des travailleurs et des paysans. Cet idéaliste, inspiré par les valeurs socialistes, ne me trouvait pas assez engagé moralement à l’époque. Je n’étais plus le même en revenant en Belgique, il est vrai.
Alors, les 100 ans du PCC. Le Parti Communiste Chinois est certainement un des plus importants partis communistes dans le monde. Il a unifié non pas un pays mais un continent ! Sa prise de pouvoir, sa victoire en 1949 est un des plus hauts faits de l’Histoire. C’est un événement sans commune mesure. Un travail titanesque. Sortir la Chine d’un chaos inimaginable qui a duré 38 ans. Les seigneurs de la guerre, les invasions japonaises… Comme Mao avait dit en 1949 : » Dorénavant la Chine est debout ». Ensuite, la Chine a représenté pour beaucoup de pays « peu développés”, l’exemple d’une lutte révolutionnaire anti-impérialiste. Encore aujourd’hui, la Chine, en gagnant sa position essentielle au sein des grandes puissances, donne beaucoup d’espoir aux petits pays en les soutenant financièrement ou de manière logistique. Enfin, elle est une référence en ce qu’elle a sorti des centaines de millions de Chinois de l’extrême pauvreté. Un fait unique dans l’Histoire humaine, encore. Aujourd’hui, son niveau de vie, son niveau d’éducation sont des conquêtes qui font rêver ou grincer des dents dans le monde entier.