FONS MOERENHOUT

1971- 2021: 50 ans d’amitié Belgique-Chine

La longue marche d’un papy idéaliste toujours fidèle à ses valeurs !

«  En 1965, en Chine, j’ai vu la plus authentique solidarité entre les paysans »

Il a son anecdote avec Mao ; il a reçu la Reine Elisabeth à son retour de Chine à l’aéroport d’Evere ; il a ouvert la librairie la plus pointue sur la Chine à Bruxelles ; il s’est battu pour les droits des ouvriers, loin des intrigues de parti : Alphons Moerenhout. Ce grand monsieur de 92 ans surnommé « Fons » ici ou « Fengzi », en Chine, nous fait penser aux 1ers bâtisseurs de l’Europe  et à leur idée d’une  solidarité entre pays pour le bien-être et la sécurité de tous. Mais aujourd’hui, ici, comme en Chine, comment rester fidèle à nos valeurs, malgré l’individualisme et l’appât du gain ?

LHCH: D’abord bonne année chinoise ! Comment allez-vous du haut de vos 92 ans ? 

FONS: Merci ! Le médecin dit que je mange très bien donc c’est le principal !

LHCH: On aimerait ici parler de votre idéalisme. Vous avez commencé dans la résistance pendant la 2ème guerre mondiale, non ?

FONS: J’ai été un peu résistant, poussé par mon père. Pas comme mes camarades plus âgés dans mon entourage. J’ai été envoyé rapidement chez les Trappistes pour garder les secrets du réseau. J’était trop jeune pour cette pression !

LHCH: Comment avez-vous débuté dans la politique ? 

FONS: À la base j’ai étudié le métier d’électricien aux Arts et Métiers de Bruxelles. J’ai travaillé dur et je suis devenu syndicaliste pour défendre mes droits et ceux de mes collègues. Puis je suis rentré au parti communiste belge ou PCB.

LHCH: Pourquoi avoir choisi de suivre Jacques Grippa lors de la cession du PCB de 1963 entre pro-Pékin et pro-Moscou ?

FONS: Les pro-soviétiques avaient trahi la cause. Il y avait trop d’argent et de luttes de pouvoir . On ne connaissait pas bien la révolution chinoise, mais elle était pure et nouvelle. De plus, j’avais de la sympathie pour la classe paysanne, très pauvre en Chine. Mais, je suis marxiste-Léniniste avant tout. Même si je ne suis jamais allé en Russie !

LHCH: Le fondateur de ce parti alternatif, Grippa, qui va s’avérer ambigu par la suite, avait été invité en Chine. Son parti était, en Europe, le seul parti très proche de la Chine rouge. Vous êtes parti en 1965.

FONS: Avant octobre 1971, année du début des relations diplomatiques officielles entre la Belgique et la Chine, les sympathisants du nouveau socialisme se rendaient en Hollande pour communiquer avec l’ambassade de Chine. Là, un jour, on  m’annonce qu’une lettre qui m’était adressée était restée sans réponse ! Les Chinois étaient fâchés. Je rentre à Bruxelles pour demander des comptes à la secrétaire de la « Librairie Internationale » de Jacques Grippa. Dans son bureau, je tombe sur ma lettre, déchirée. A la poubelle ! Le secrétaire général du Parti Communiste Belge, orientation Mao, m’enjoint de répondre à cette invitation officielle de la République populaire, mais d’y aller avec cette étrange secrétaire, trop proche à mon goût d’Henri Lederhandler, militant de la jeunesse juive et communiste pro-chinois qui n’avait pas suivi la voie de Grippa en 1963. Je suis donc parti en Chine, en 1965, pour la Fête nationale, avec une proche de Grippa.

LE PLUS BEAU VOYAGE DE SA VIE

LHCH: Une expérience très rare à l’époque !

FONS: Je devais aller à Shanghai « rencontrer des ouvriers ». Mais avec 8 jours devant moi, je préférais aller plutôt à Yan’An, la base célèbre du communisme, dans le Shaanxi. Là, j’ai vu la vraie Chine. J’en ai profité pour parler avec des paysans courageux et visiter des coopératives. C’était émouvant et fort, en même temps.  On est venu me chercher à l’hôtel pour aller assister au défilé. D’abord mêlé aux invités habituels en bas, j’ai pu monter sur l’estrade du haut ensuite, pas loin de Mao, avec vue sur l’immense place de Tian An Men. Un honneur ! On m’a placé entre deux personnalités très contrastées, Kang Shen et Chen Boda. Nous n’avons pas pu discuter, faute de traducteur à ce moment des festivités. 

LHCH: Vous avez pu rencontrer le président de la Chine ?

FONS: Après le défilé, la traductrice personnelle de Mao est venue me parler. Elle avait un excellent français. Je ne savais pas encore qui elle était. Nous étions à 10 mètres de Mao qui était en face de la femme d’un homme important. A ce moment, le grand timonier sort un mouchoir et s’essuie le torse à travers sa chemise. Un peu étonné, je fais la remarque à la traductrice :  « Devant, une femme distinguée comme l’épouse du Chef d’état cambodgien, Norodom Sihanouk, cela ne se fait pas ». Mais la traductrice connaissait Mao et va lui faire ma remarque ! Mao me fait signe de venir avec son doigt…  « Quand on transpire il faut se sécher, sinon on peut attraper des rhumes », m’a-t-il dit avec sérieux. Puis, j’ai décampé !

LHCH : Amusant ! Qu’est-ce qui vous a frappé en Chine  par rapport à la Belgique ?

FONS : Le sens de l’organisation ! La ponctualité. Une vraie rigueur militaire, mais pour la bonne cause. Ici, on était moins professionnels dans nos actions. 

LHCH : Vous êtes reparti en Chine après vos soucis avec le parti pro-chinois qui s’éloignait lentement de sa cause  ?

FONS: Oui, ensuite je suis allé en Chine plusieurs fois  jusqu’en 2018 car je m’occupais d’une librairie « La Grande Muraille » pour laquelle j’avais besoin de matériel pédagogique, culturel et de contacts avec les maisons d’éditions chinoises. J’y ai collaboré un moment avec un personnage assez désagréable, Henri Lederhandler. Après avoir travaillé à la Librairie du parti Communiste belge, il devint, grâce à ses contacts gouvernementaux, un expert du commerce international avec la Chine. 

LHCH: Vous aviez plus la paix pour travailler à cette librairie, loin des dissensions intestines du parti  ?

FONS: Je pouvais y pratiquer mes deux nouvelles passions initiées en même temps: la lecture et la Chine. Je dévorais les publication de Beijing Information ! Mais quand certaines maisons d’éditions ont été privatisées en Chine, j’ai de nouveau été face à quelqu’un de malhonnête. J’ai croisé la corruption de certains intermédiaires. Ce personnage étaient loin des vrais idéalistes attachés à la vie paysanne, à la terre… 

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CHINE ACTUELLE

LHCH: Que pensez-vous de la Chine d’aujourd’hui ? 

FONS: D’un côté, oui, elle change très vite ; de l’autre, elle ne change pas dans son fond. Ou plutôt, ça ne devrait pas changer.  J’ai un peu suivi le long chemin parcouru pour sortir de la misère. Ce qui arrive aujourd’hui est hallucinant. La Chine  est déjà au coeur de nos vies et va le devenir encore plus ! En même temps, je crois qu’on ne la connait toujours pas. Même on la rejette… Pourtant, elle est appelée à jouer un grand rôle pour l’humanité.  Son chemin sera encore difficile. Dans notre partie de l’Europe et aux USA, il y a de la jalousie et de la méchanceté contre la Chine. 

LHCH : Et la Belgique, au coeur de l’Europe ?

FONS :  La Chine veut des relations amicale avec l’Europe  mais celle-ci ne se lance pas. On peut rater la chance. Surtout avec cet homme malveillant à la tete du conseil européen : Charles Michel . Sous ces airs de benêt, il peut être très dangereux par rapport à la Chine. Ici, sa dynastie familiale règne aussi. 

LHCH: La Chine fait peur… Parce qu’elle semble se lancer dans la course vers la richesse aussi ?

FONS: Ce n’est pas le but du gouvernement, je crois. La Chine ne peut pas se laisser envahir par l’avidité individuelle. Il faut revenir aux bases, à la solidarité car cette avidité mène à la corruption. Il y en a qui veulent devenir des capitalistes sans en connaître les dangers ! Des gens vont alors en prison pour fraude, et c’est normal ! La Chine ne veut pas connaître le sort de la Russie. S’ouvrir aux affaires, oui, mais sans perdre l’âme du socialisme. 

LHCH: Qu’est-ce qui fait la force de la Chine à ce niveau ? 

FONS: C’est l’état qui contrôle l’économie. Pas l’inverse. 

ENDIGUER L’INDIVIDUALISME

LHCH: Dans les films et dans la presse chinoises, on parle beaucoup de la montée de l’individualisme

FONS: Malgré un état solide, il faut avouer que des divisions peuvent exister car la nature humaine est ce qu’elle est …Donc je  comprend la volonté du gouvernement de revenir à leur fondamentaux face à la passion de l’argent inhérente au processus capitaliste. Peut-on vivre dans le socialisme pur ? Se développer et, en même temps, rester soi-même ?

LHCH: La Chine d’avant vous manque ?

FONS: Je ne sais pas. J’ai un peu entrevu la vie des paysans dans leurs maisons encore en bois et pailles et les premières initiatives pour assurer des logements décents, dans de beaux matériaux,  pour leur retraite !   J’ai pénétré dans des maisons pauvres avec timidité car les femmes faisaient la lessive et leur maris dormait après leur nuit de travail. J’ai pris le bus pour aller voir les paysans qui avaient aidé Mao à faire la révolution. Dans les villages je rencontrais des gens qui disaient : « Je suis un simple soldat de l’armée rouge ; j’ai fait la révolution et mon général m’a demandé de rester dans ce village pour en assurer la gestion ; j’ai donc engagé des camarades paysans pour m’aider dans cette tâche ». C’était for et émouvant…

LHCH : Et aujourd’hui, la Chine affirme être sortie officiellement de l’extrême pauvreté. 

FONS: Oui depuis 2013, je crois, le gouvernement chinois a relancé ce genre d’initiatives dans les campagnes et les régions le plus pauvres. J’ai entendu que 3 millions de fonctionnaires sont partis loin de chez eux pour aider les minorités, notamment, à développer leur village. La Chine fait maintenant ce que l’Europe avait fait après ma seconde guerre mondiale. Deux réussites exemplaires. 

LHCH: La Belgique a une histoire étonnante avec la Chine. Au 19ème et au début du 20ème siècle avec ses ingénieurs, ses aventuriers et ses hommes d’affaires. Mais étonnement, au début de la République Populaire aussi ! Vous avez fait partie des fondateurs de la fameuse Association Belgique Chine fondée en 1957 ?  

FONS: Oh c’est une longue histoire ! Je peux esquisser mais… Il y a d’abord une Reine extraordinaire et pas très conformiste qui est partie en Chine très tôt. La Reine Elisabeth surnommée la Reine rouge car elle est aussi partie en Union Soviétique. Je faisais partie des gens qui étaient venus l’accueillir à l’aéroport militaire d’Évère. On n’était pas royalistes mais on la respectait. Elle avait visité la Grande Muraille de Chine et serré la main à Mao. Très ouverte d’esprit. Il y avait aussi le futur Baron rouge, le grand Baron Allard, un noble qui collait des affiches et qui avaient des grandes idées. On l’avait invité à une réunion du PCB. Lui et un banquier allemand Dalhman, ex-étudiant communiste, mais installé à Bruxelles, étaient deux sponsors et fondateurs donc, de cette Association Belgique Chine ! Bref, cette association, la 1ère du genre, je crois, en Europe accueillait hommes d’affaires, intellectuels, anciens étudiants communistes. Un grand moment pour la Belgique et la Chine ! 

LHCH: Merci beaucoup Fons, nous sommes touchés. Vous êtes la mémoire vivante de la Chine chez nous. Bonne continuation et bonne santé. 

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